La linguistique appliquée
De la grammaire à la linguistique en classe de langues
De nos jours, on a souvent tendance à distinguer, d'un point de vue épistémologique, la grammaire de la linguistique, étant donné que l'objet de l'un et de l'autre n'est pas souvent le même. On a souvent tendance à réputer pour une discipline autoritairement la grammaire normative et la linguistique pour une science objectivement descriptive. Une distinction que FREI explicite comme suit :
« Tandis que le grammairien et le législateur prescrivent et codifient ce qui doit être, le linguiste et le sociologue constatent et enregistrent simplement les rapports de mutuelle dépendance reliant les faits : une grammaire normative n'est pas une Traité de linguistique, de même que le code civil n'est pas un Traité de sociologie ni le Code pénal un Traité de criminologie. » (1929 : 24).
Face à une telle divergence, beaucoup de chercheurs alludent au divorce de ce qu'A. BERRENDONNER (1985) désignait par l'expression : « le couple antagoniste grammairiens/ linguistes » (cité par CUQ, 1996 : 25) vue le contraste des tâches et des rôles qui leur sont assignés. Mais, au lieu de s'efforcer à les séparer, pourquoi ne pas faire de même pour les concilier, pourquoi ne pas penser plutôt à la complémentarité qui pourrait exister entre eux? Comme réponse, CUQ (Ibid.) explique que, dès leurs naissances, l'objectif ultime des grammaires était purement didactique, elles étaient souvent destinées à l'enseignement des langues et même pour les enseigner à des étrangers, et à un moment donné, on a dû soutenir un tel objectif par les descriptions de la linguistique et ses apports :
« L'objet d'une grammaire est prioritairement didactique. A ce titre, la description linguistique doit lui être subordonnée. On dira donc plutôt que le rôle du grammairien est de fournir une aide didactique à l'enseignant : pour ce faire, il ne peut bien entendu rester dans l'ignorance des connaissances acquises par les linguistes. C'est donc peut-être en grande partie de la confusion entre les rôles dévolus au linguiste et au grammairien, c'est-à-dire finalement d'une absence de réflexion conceptuelle, que provient le dilemme méthodologique dans lequel l'enseignement de langues se laisse enfermer depuis trop longtemps maintenant : enseigner ou ne pas enseigner la grammaire. Et cela au point qu'aujourd'hui l'apprentissage/enseignement de la grammaire joue le rôle d'un véritable obstacle dans l'apprentissage/ enseignement des langues. » (CUQp.57 , 1996 : 26).
A ce niveau, la naissance de la linguistique appliquée vers les années 1950 a constitué un rétablissement des tâches assignées aux linguistes et aux grammairiens et une incarnation de la contribution de la linguistique scientifique à l'enseignement des langues en général et de la grammaire en particulier. Dans ce sillage, CHISS pense que : « [...] le terrain de l'enseignement de la langue soit le lieu par excellence de validation de la linguistique, qu'on ne puisse séparer la recherche concernant l'efficace de la linguistique sur la rationalisation pédagogique » (2016 :19).
La linguistique se voit ainsi révolutionner le champ de l'enseignement de la grammaire à travers l'application des théories structuralistes, en particulier le distributionnalisme, en classe de langue (Ex : la méthodologie audio-orale). Cette rupture épistémologique constitue à notre sens une réconciliation entre deux disciplines, linguistique et grammaire, dont la séparation engendre la stérilité de la première et le dogmatisme de la seconde.
Selon DE PIETRO (2002), outre le domaine de la didactique et de la traductologie, la linguistique appliquée s’intéresse également à la neurolinguistique, la psycholinguistique, la sociolinguistique, la linguistique de l’acquisition, la politique linguistique, la linguistique interactionnelle, etc., c’est-à-dire, elle peut s’intéresser à toute discipline relative à l’étude de la langue et du langage :
« La linguistique est le secteur des sciences du langage qui traite des relations entre ces dernières et différents domaines d’activité sociale : enseignement et apprentissage des langues, traduction politique linguistique, terminologie et ingénierie des langues. […] la linguistique appliquée est d’abord liée, d’une part à des domaines d’analyse linguistique relativement formalisé (structuralisme distributionnel), d’autre part à des technologies de quantification (décomptes et statistiques), d’enregistrement et de reproduction (magnétophone et laboratoire de langue), de recherche d’automatisation (traduction automatique). » (2003 : 155-156)
En résumé, a linguistique appliquée est une branche de la linguistique qui s’intéresse davantage à l’application et la mise en pratique des théories de la langue et non pas à ces théories en elles-mêmes. Elle constitue ainsi un pont entre la linguistique théorique et une certaine linguistique plutôt pratique et a pour objectif de répondre aux lacunes d’autres disciplines. Ainsi, comme l’illustre le schéma sous-présenté de GALISSON (1972), la linguistique appliquée constitue une activité qui met en œuvre les fondements de la théorie (linguistique) dans la méthodologie.