La déixis

La deixis (ou déixis) se réfère à la manière dont le sens d'un mot ou d'une expression dépend du contexte dans lequel il est utilisé. En d'autres termes, les mots déictiques ont un sens qui change en fonction de l'identité du locuteur, de l'auditeur, du lieu, du temps, et d'autres aspects contextuels. Il existe plusieurs types de deixis :

  1. Deixis personnelle : Se réfère aux pronoms personnels comme "je", "tu", "il", "nous", "vous", "ils". Par exemple, "je vais au magasin" signifie quelque chose de différent selon qui dit "je".

  2. Deixis spatiale : Se réfère aux termes de localisation comme "ici", "là", "près", "loin". Par exemple, "je suis ici" indique un lieu différent selon le lieu réel du locuteur.

  3. Deixis temporelle : Se réfère aux expressions temporelles comme "aujourd'hui", "demain", "hier", "maintenant". L'interprétation de ces termes dépend du moment où ils sont utilisés.

Un certain nombre d'éléments du langage ne sont interprétables qu'en relation au contexte de l'énonciation (« Je » - « ici » - « maintenant »); c'est le phénomène de la deixis. Dans la phrase citée ci-dessus, « nous » (= les députés du peuple) et « ici » (= le Jeu de paume, à Paris) sont compréhensibles seulement en référence à un contexte précis, évident pour les énonciataires. La même phrase, prononcée ailleurs, à un autre moment, et par quelqu'un d'autre recevrait une interprétation tout à fait différente, alors que son sens ne changerait pas.

On peut ainsi opposer le sens (qu'on peut par exemple déterminer à l'aide un dictionnaire),  dont s'occcupe la sémantique, et l'interprétation liée au contexte, dont s'occcupe la pragmatique. Les déictiques (ou «       embrayeurs») sont des mots ou des locutions dont le sens est toujours lié au contexte d'énonciation: adverbes comme « ici », « là », « maintenant », « hier », « tout à l'heure », certains adjectifs et pronoms démonstratifs, les possessifs, etc.

Pour reprendre l'exemple plus haut, l'énoncé « Mirabeau a dit que nous étions ici par la volonté du peuple, et que nous n'en sortirions que par la force des baïonettes » pose un problème évident à travers l'usage du « nous », marque d'un narrateur qui a été également acteur, en l'occurrence l'un des autres députés présents au Jeu de Paume ce jour-là. En effet, cette référence est compètement absente de la phrase d'origine au style direct (Le 23 juin 1789, Mirabeau a dit : « Nous sommes ici par la volonté du peuple, et nous n'en sortirons que par la force des baïonettes. »), où le narrateur est implicite. La transposition au style direct exige donc également que les pronoms passent de la première à la troisième personne, pour rétablir l'« objectivité »: « Mirabeau a dit qu'ils étaient ici par la volonté du peuple, et qu'ils n'en sortiraient que par la force des baïonettes ». Ce changement a pour effet de débrayer à l'intérieur de l'énoncé le sujet de la narration—le narrateur, le «& je » implicite—et le sujet du récit.

Alors que les déictiques renvoient manifestement au contexte de l'énonciation, d'autres marques énonciatives sont beaucoup plus subtiles. Considérons les exemples suivants:

  1. (1) « Cet appartement a une surface de 50 m2. »
    (2) « Cet appartement est plutôt petit. »
    (3) « Cet appartement est magnifique. »

Au premier abord, ces trois énoncés comportent un déictique évident, « Cet », interprétable seulement si l'on sait de quel appartement il s'agit (parce que l'énonciateur vient d'en parler, parce qu'il nous le montre, parce qu'il y a une photo à côté de la phrase dans un journal, etc.)

On dira que l'énoncé (1) fait référence à des données « objectives » (inhérentes à l'objet), car la taille de l'appartement ne varie pas, et peut être exactement établie à l'aide d'un système de mesure standardisé (50 m2); il a donc un sens qui coïncide avec l'interprétation qu'on peut en tirer.

En revanche, (2) et (3) seront dits « subjectifs», puisque leur interprétation dépend de la perception du sujet de l'énonciation — laquelle peut être déterminée par des structures culturelles et/ou un point de vue personnel: un appartement « plutôt petit » aux U.S.A pourra sembler de taille très honorable en France; ce qui est « plutôt petit » pour moi semblera extrêmement exigu à celui qui vit dans un château; « magnifique » reflète forcément des normes esthétiques, etc.
     Cette différence apparaît nettement si l'on restitue le cadre énonciatif:


  1. « [{'Je' dis qu'} il est vrai que] Cet appartement a une surface de 50 m2. »
    « [{'Je' dis qu'} il est vrai que] Cet appartement est magnifique. »

    Dans le premier cas, la proposition exprimée par l'énoncé est soit vraie, soit fausse, selon que l'appartement a effectivement une surface de 50 m2 ou non, alors que dans le second cas, elle est plus ou moins conforme à un point de vue. Quoi qu'il en soit, et même si les marques énonciatives restent discrètes, l'une et l'autre présupposent une énonciation, et donc une subjectivité: en effet, la première proposition peut être fausse du fait de l'erreur ou du mensonge en dépit de sa formulation apparemment « objective ». Ajoutons que, paradoxalement, seule la première proposition peut être fausse, précisément à cause de cette formulation, tandis que la seconde n'est jamais ni vraie ni fausse dans l'absolu.


    Deixis discursive : Se réfère aux éléments qui pointent vers le discours lui-même, comme "cela", "comme je l'ai dit".